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Caroline Sägesser : « La cohésion nationale belge a fortement baissé »

Chercheuse au CRISP, Caroline Sägesser s’inquiète de l’état de la Belgique dont, à ses yeux, les institutions fonctionnent de moins en moins bien. Et propose de revoir la question du financement des cultes.

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« La démocratie belge n’est, hélas, pas en très bon état. Et je crains que la situation ne s’améliore pas à la “défaveur” du scrutin de juin prochain. » Caroline Sägesser, qui dresse ce constat alarmiste, est, depuis de nombreuses années, une observatrice attentive des institutions belges au sein du CRISP (Centre de Recherche et d’Information Socio-Politique). « La Belgique est dans une situation fragile, notamment à cause de sa configuration politique, relève-t-elle. Elle souffre d’un problème structurel en particulier lié à l’absence de partis nationaux – à l’exception du PTB -, ce qui empêche que des formations politiques fassent une synthèse des aspirations des différentes parties du territoire. Un axe nord-sud vient ainsi se greffer sur l’axe idéologique gauche-droite. On se retrouve finalement dans un fédéralisme très conflictuel, ce qui fait que les institutions fonctionnent de moins en moins bien. C’est mauvais pour la démocratie.  »

« Si, à l’origine, rappelle-t-elle, on pouvait encore parler de familles politiques, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les partis traditionnels – sociaux-chrétiens, socialistes et libéraux –, qui ne rassemblent plus à eux six la moitié des voix, se sont écartés les uns des autres. Entre le CD&V et Les Engagés, notamment, on ne peut plus parler de fa- mille commune. Et je crois que les divergences vont encore s’accroître. Le paradoxe est qu’en créant des communau- tés de régions pour résoudre les conflits linguistiques, on a rétréci le champ de références, tant des citoyens que des politiques. Il est par exemple très rare que les sujets qui ouvrent les journaux de la RTBF et de la VRT soient les mêmes, chacun s’occupe de son espace culturel. La seule chose qui reste nationale est la météo. Pourquoi des partis feraient-ils l’effort de s’intéresser aux préoccupations de l’autre partie du pays alors que leurs électeurs se trouvent exclusivement dans la leur ? La cohésion nationale a for- tement baissé. »

DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE

Et, comme dans tous les pays, on remarque un essoufflement de la démocratie. C’est pourquoi l’analyste préconise un renforcement de sa dimension participative. « Les assemblées citoyennes adjointes aux différents parlements ne me paraissent pas suffisantes. Je crois que rien ne remplace une bonne dose de démocratie directe. Consulter les citoyens au niveau communal, les impliquer pour des projets locaux me semble important pour leur redonner confiance. Il faut commencer par ce niveau car les enjeux sont plus concrets. Le pire est d’organiser des consultations populaires et ne pas en tenir compte. »

Un autre terrain sur lequel Caroline Sägesser se montre très inquiète est celui de l’accueil des réfugiés.
« C’est un dossier dans lequel la Belgique a été condamnée à de nombreuses reprises, sans que cela fasse bouger les choses. Notre pays ne respecte plus autant qu’il le devrait les droits fondamentaux, la charte européenne des droits de l’homme, nos obligations internationales. Ce qui me choque, c’est que l’on puisse s’asseoir sur une décision de justice. Que la secrétaire d’État à l’Asile et la Migration puisse décider, par circulaire, de ne plus accueillir les hommes seuls, au mépris des conventions internationales dont la Belgique est pourtant signataire. Le Conseil d’État a cassé cette circu- laire et, malgré cela, elle n’a pas modifié sa position. Il y a quelque chose qui a changé dans le contrôle des pouvoirs, c’est très dangereux. On se rend compte que, si la justice est une autorité morale très importante, elle ne parvient
pas à contraindre le politique. La question des réfugiés devrait être traitée au niveau européen pour s’assurer que cela fonctionne d’une façon plus efficace.
 »

UNE RENCONTRE DÉCISIVE

Fille d’un père suisse protestant et d’une mère belge catholique, Caroline Sägesser a une éducation catholique. Mais très vite, elle se rend compte qu’il ne peut y avoir « une seule vérité  ». L’année passée dans une université américaine « extrêmement progressiste », dans le New Island, où on enseigne combien l’histoire américaine est celle de multiples oppressions (des femmes, des noirs, des gays, etc.), lui fait prendre conscience de la « dimension injuste et inégalitaire de l’Histoire ». Retraversant l’Atlantique, elle ouvre à Etterbeek une bouquinerie qu’elle tiendra pendant trois ans. Et où elle a comme client Xavier Mabille, qui l’invite à rejoindre le CRISP qu’il dirige à l’époque. Cet organisme, qu’elle ne connaît pas, va la séduire par la rigueur du travail et la volonté affichée d’être au-delà des clivages, non partisan.

À l’ULB, elle passe un doctorat consacré au financement public des cultes, sujet qu’elle ne va cesser d’approfondir au CRISP. « J’ai été très surprise de découvrir que les ministres des Cultes étaient payés par le ministère de la Justice, se souvient-elle. Ce système mis en place dans la foulée du Concordat de 1801, un peu élargi depuis, n’est ni transparent ni égalitaire puisqu’il fait une grosse différence entre les cultes reconnus, qui reçoivent des montants importants, et les autres, qui ne reçoivent rien. En 1832, la Belgique a été extrêmement généreuse en finançant les cultes catholique, protestant – celui des ennemis d’hier -, israélite – une première mondiale -, anglican. Au XXe siècle, il a été ouvert à l’islam et à l’Église orthodoxe. Et le bouddhisme devrait être reconnu. Mais pourquoi pas les chrétiens d’Orient, les alévis, l’hindouisme ? Ce dossier de reconnaissance des cultes est aussi lié à celui des cours des religions car, selon la Constitution, il en faut un pour chaque religion reconnue. C’est déjà compliqué d’en pro- poser six, si demain il y en a neuf, cela va devenir intenable et très cher. »

PAYEUR MAIS PAS EMPLOYEUR

« Notre système devrait donc être rénové pour être transparent, non discriminatoire et plus moderne. L’idée de payer directement les ministres des Cultes pose un vrai problème, pour plusieurs raisons. D’une part, l’État est le payeur mais pas l’employeur, donc il n’exerce pas de contrôle : si certains d’entre eux sont coupables, par exemple, d’actes de pédophilie, les retirer de la liste des personnes payées par les pouvoirs publics dépend du bon vouloir de l’évêque. C’est aussi un problème que l’État rétribue des fonctions qui ne sont pas ouvertes de manière égalitaire aux hommes et aux femmes. Ce financement devrait dès lors se distancier des religions. »

« Je suis assez attachée à l’idée de ne plus contraindre les cultes à s’organiser d’une façon pilarisée. Dans un même culte, on trouve en effet énormément de différences. Pourquoi alors ne pas soutenir les organisations cultuelles, confessionnelles parce qu’elles ont une utilité sociale ? Subventionner une paroisse qui offre des espaces de rencontres aux personnes âgées ou qui participent aux restos du cœur a plus de sens que de payer un ministre du culte qui s’occupe de sacrements. » ■

Propos recueillis par Michel PAQUOT

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