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EDITO

Attention,fragile.

La vie, ça ne va pas toujours comme on pense. Cette jeune fille, par exemple. Elle est en stage d’attente, et voilà qu’on lui annonce qu’elle va tomber enceinte, comme ça tout à coup. « Pas si vite, pas maintenant », pensait-elle. Et ce jeune homme avec qui elle s’est installée. Lorsqu’elle le lui a appris, il a lui aussi vu sa vie changer : il venait juste de trouver un job de remplacement au rayon « bois » d’un magasin de bricolage. Des horaires découpés, du boulot le samedi et le dimanche matin, le tout pas grassement payé. Du jour au lendemain apprendre qu’il y aura bientà´t trois bouches à nourrir, il ne l’avait pas prévu de si tà´t...

Et puis, il y a eu le coup des élections. Là aussi, ils n’avaient rien vu venir. L’annonce de la date en avait été faite sans prévenir. Et comme ils venaient d’emménager, pas question d’aller voter là où ils habitaient. Ils devaient retourner d’où ils venaient. C’est-à -dire à l’autre bout du pays.

Bien sûr, ils auraient pu s’abstenir, oublier. Mais l’enjeu du vote était grave : ils étaient sûrs que leur voix compterait. Bien sûr, ils auraient aussi pu faire le voyage en voiture.Mais ce n’est pas indiqué aux femmes enceintes. Et ils n’avaient pas de voiture. Restaient donc les transports en commun : un bus, un train, un changement de gare, un train puis deux heures de bus. Une arrivée éreintante, en pleine nuit. Et puis, plus nulle
part où loger. Pas même une ancienne voisine prête à les accueillir. Pour l’enfant à venir, le voyage n’avait évidemment rien arrangé...

Un petit fait divers : un bébé né dans un abribus de campagne, en pleine nuit, à deux kilomètres d’un bureau de vote. Un simple détail de précarité, ne touchant que ceux que l’économie et la vie mettent en équilibre instable à tout moment. Quelqu’un comme « Bob-le-précaire », ce personnage symbolique à qui La Ligue belge des Droits de l’Homme avait accordé son prix, en 2006. Un personnage-symbole qui incarnait ceux que la tempête du monde chahute de tangage en roulage.

« Je suis Bob-le-précaire, lui fit-on dire. Je ne suis personne. Je n’ai ni sexe ni nationalité. Je suis tout le monde. Je suis pauvre, étudiant, migrant, intérimaire ou chà´meur. Je suis la pluralité des nouvelles formes de résistance dans notre société spectaculaire post-moderne. Mon constat est que la prestation de travail ne se transforme pas seulement d’un
point de vue juridique ou quantitatif, mais aussi et surtout qualitativement, investissant toute la vie. »

Hier dans une mangeoire, aujourd’hui dans un abribus, Bob-le-précaire nait tous les jours. Et de plus en plus souvent. On parlait jadis de « prolétariat ». On dit maintenant « précariat ». Cherchons la différence.

Pour tous les Bob-le-précaire, Noël risque de ne pas être vraiment Noël. À moins d’un coup de main. D’un appui. D’un soutien. Tous, n’avons-nous pas droit à un Joyeux Noël ?

Frédéric ANTOINE

Mot(s)-clé(s) : L’édito
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